PÉPÉ !

Chaque 11 novembre, je pense à lui, voici un texte du 12 novembre 2008, sur ce même blog……. je le poste encore aujourd’hui en son souvenir…..
Les croix alignées, unies, ont remplacés les hommes qui s’entretuaient, déchirés.
On en a parlé, mais ils ne sont toujours pas réhabilités. Ceux qui ont discutés les ordres, ceux qui ont mis en doute les manœuvres absurdes de ces officiers malades qui les menaient vers un abattoir inutile. On les a fusillés pour servir d’exemple, pour donner à réfléchir à ceux qui voulaient fraterniser avec cet ennemi tout aussi désemparé.
Mon grand-père me racontait ces histoires de sa guerre qui avait dévoré ses années de jeunesse et l’avait laissé lassé, désespéré.
Il s’était tu pendant des années, refusant de raconter tout ce qui l’avait bouleversé. Renfermé sur ses douleurs, cloîtré dans ses horreurs, il attendait dans le silence le moment de s’extérioriser pour s’exorciser de ses peurs et de ses souvenirs.
À un petit enfant, on peut raconter beaucoup d’histoires et mêler son histoire en oubliant son angoisse sans se sentir diminué. Alors, le soir, après être allé regarder le train de Paris entrer en gare de Cannes, il me ramenait manger la soupe vespérale, et, sans témoin, sur le chemin, il se dépouillait de ses souvenirs parasites.  Blessé, gazé par ces armes aveuglantes, meurtri, enfoui sous la terre et les lambeaux de chair soulevés par les bombes, sourd du bruit des canons, maculé du sang des amis, des copains par la dîme mortelle des combats prélevée. Les geysers de terre qui engloutissent et noient ceux qui sont piégés.
Horreur, fraternisation, refus d’obéir, stupidité de la guerre, de tuer sans raison, amitiés, amour de celle qui souffrait à la maison, les lettres envoyées, celles qu’on reçoit, les nettoyeurs de tranchées, les rats, les masques, les poux, la souffrance, les mutineries, la peur, la vengeance, le courage.
Les bons, les méchants. Le pape qui bénit ceux qui vont combattre.
‘Avec l’aide dieu nous devons tuer tous les allemands !’ L’église suit les canons.
Ceux qui meurent, les plus en plus jeunes qui les remplacent. Chair plus tendre pour des canons plus sophistiqués.
La Somme, Verdun, le Chemin des Dames….
Chaque soir, un morceau du vol d’une partie de sa vie. Je l’écoutais, sans le comprendre, sans comprendre qu’il essayait d’oublier toutes ces images qui le hantaient.
J’ai grandi, il nous a quitté, et c’est beaucoup plus tard que j’ai compris.
Si je n’aime pas les armes, si je hais la guerre, si les curés m’exaspèrent, si des couleurs du drapeau, c’est le blanc que je préfère, c’est parce qu’en les mélangeant toute, il ne reste que celle la.
Une médaille militaire, bien encadrée, en sous verre, souvenir de sa vie, témoin d’une connerie !
A pépé ….

 

2 réflexions au sujet de « PÉPÉ ! »

  1. J’ai l’impression que tu parles de tous ces grands-pères qui ont connu les tranchées, les obus, les cadavres… ces horreurs auxquelles on les a mêlés sans leur demander leur avis. Comme l’a dit un jour mon grand-père : « c’était eux ou nous »… Il n’y a pas plus grande plaie que celle de devoir tuer celui qui est en face.

  2. Mon grand père Breton a fait le chemin des Dames. Il en est revenu vivant. Leurs voisins, le père et les quatre garçons y sont restés. À Sainte Anne d’Auray, à côté de la basilique, il y a un monument en forme de rotonde, tous les murs sont couverts des noms des morts Bretons, il n’y avait pas la place pour mettre tous les noms, on en a mis un sur dix. C’est absolument déchirant.

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