LE BIEN ET LE MAL, LE MIEUX ET LE PIRE !

Le mieux peut-il engendrer le pire ?

Une petite histoire……….(novembre 1996, oubliée dans un dossier)

Le mieux est l’ennemi du bien, ou, Tout est relatif.

Anthropophage !

Une nuée de questions l’assaillait. Aussi parfaite qu’une civilisation puisse être, il y aura toujours un grain de sable pour faire apparaître de nouvelles interrogations, pour faire naître de nouveaux doutes, car plus l’homme tente de se rapprocher de l’infini en essayant de le comprendre, et plus cet infini devient inaccessible en lui montrant son insignifiance, car plus l’homme a l’impression d’être libre et plus il sent le poids des maillons de la chaîne qui l’attache à l’ignorance lui peser en lui faisant comprendre qu’il est, et qu’il sera toujours prisonnier de son corps, cette fragile enveloppe périssable, car la science, en répondant à l’une de ses questions lui en dévoile chaque fois de nouvelles, et plus il inventera des moyens pour aller plus vite et plus loin pour dominer son univers, et plus il s’apercevra des embûches parsemées sur le chemin qu’il doit parcourir, et chaque fois, reviendront toujours des questions éternelles sur son avenir et sur la recherche de la vérité.

La vérité ne sera sans doute pas celle que nous croyons, ni même celle que nous espérons peut être, et en ce cas, serons-nous capables de l’entendre, de l’accepter, et à fortiori de la comprendre ? La vérité n’est peut-être pas figée, ni immobile, mais pouvons nous seulement la voir au milieu des informations qui nous arrivent, si nous ne possédons pas la clef pour la déchiffrer ?

Anthropophage…un mot oublié, puisé dans le dictionnaire d’une vieille langue qu’ils avaient tuée pour mieux l’apprendre. Anthropophage…qui mange de la chair humaine, une vérité archéologique vérifiée dans de vieux traités, la possibilité mystique autrefois exploitée par de nombreuses religions pour transmettre à l’initié la force et les pouvoirs d’un dieu vénéré.

Humain, humaine…..propre à l’homme…..là était la vraie question, car que pouvait-on appeler homme, quelle était la vrai définition de ce mot ? Un être humain, capable du meilleur comme du pire, et souvent d’ailleurs, en même temps…..Il y avait eu des périodes fastes suivies de périodes catastrophiques où la fameuse horloge de l’apocalypse avait flirté avec le point de non retour, souvent au moment où on pensait toucher enfin au but, au moment où on pensait que les leçons du passé avaient été retenues, au moment où on croyait que l’homme était enfin devenu adulte, mais chaque fois de vieux démons resurgissaient du passé, réveillant les haines ancestrales en le faisaient reculer sur ce chemin de la liberté.

Elle était à l’intérieur d’une boîte rectangulaire, enfin cela en avait la forme, une boîte hermétique recouverte d’une sorte de dôme dont les points lumineux lui donnaient l’apparence d’un ciel étoilé qui se reflétait sur le sol recouvert d’un carrelage bicolore, aucun objet ne décorait les parois, seuls trois hublots opaques devaient sans doute permettre un accès pour des caméras ou des capteurs, aucun bruit ne filtrait, et la lumière intérieure tamisée empêchait de fournir une indication sur l’heure qu’il pouvait être, midi, ou minuit…..

Est-ce la lumière qui baissa, ou bien est-ce ses yeux qui s’affaiblirent, ou bien encore ses membres qui perdirent leur force en commençant à s’engourdir, mais elle sentit qu’elle perdait le contrôle de son physique, que son corps lui échappait, cependant son esprit demeurait conscient et pendant ce voyage de la téléportation, deux mots, anthropophage et humain, restaient bizarrement gravés en elle comme une cicatrice en lui rappelant sans cesse le début, là où tout avait commencé.

L’expérience précédent c’était fort mal passée, la fin n’avait pas été à la hauteur des espérances envisagées, peut-être parce que le début n’avait pas été suffisamment planifié, et il fut décidé de reprendre le programme en lui ajoutant les modifications apportées par la nouvelle génération des derniers ordinateurs.

Les chercheurs de têtes s’étaient mis au travail, compulsant, grâce à la rapidité de leurs outils, toutes les candidatures parvenues du fin fond de l’univers habité, connu et annexé, car l’appel avait été lancé jusqu’aux plus lointaines planètes.

Nous étions en poisson 3719 sur la planète mère Alga qui avait déjà conquis, depuis mille de ses années tout l’espace temps exploré depuis ses trois soleils et ses cinq lunes jusqu’aux septième barrières. Cette vénérable planète dominante avait imposé ses lois, sa philosophie et son éthique à tous les astres habités qui gravitaient auprès d’elle, ses colonisations successives étant matérialisées aléatoirement par des amas de planètes disposés comme des barrières en spirales ellipsoïdales à chaque annexion respective.

Dans cet immense empire, il ne restait plus rien d’inconnu, mais à partir de la septième barrière commençait l’univers inexploré, considéré comme une sorte de parc réservé pour toutes les expériences en cours ou futures, un espace interdit, un sanctuaire, un vivarium, un musée naturel interdit à toutes les interventions de profanes non accrédités.

Plusieurs millions de postulants, venus des dizaines de milliers de planètes que comptait l’empire, étaient des finalistes potentiels, mais au bout de quelques heures à peine le résultat indiquait comme lauréat, ironie du sort, peut- être, le numéro 666 en provenance du système solaire, septième barrière de l’ellipse ouest, planète d’origine terre, dite planète bleue, sexe féminin, du nom de Porte et de prénom Lucie, âgée de 33 années terrestres.

Les voyages inter-barrières étaient très rapides, la décomposition moléculaire qui pouvait déplacer chaque individu presque instantanément sur n’importe que point de l’univers avait relégué la vitesse de la lumière au rang d’antiquité et c’est donc ainsi que Lucie se présenta au bureau central de la Grande Opération De Fraternisation.

Depuis de nombreux siècles, grâce à la tolérance, alliée à une grande sagesse, les humains vivaient heureux. Il n’y avait plus de conflits, ni de guerres, et la facilité des déplacements et de la communication avait peu à peu donné naissance, à cause des brassages ethniques, à un un être de peau plutôt mate, aux cheveux foncés et de taille assez grande, et cette nouvelle population s’étendait sur tout l’univers.

Bien sûr tout ne s’était pas fait sans mal, il avait fallu vaincre toutes les peurs séculaires enfouies dans la mémoire biologique des racines humaines et vaincre les supériorités ataviques de certains peuples qui se comportaient comme les maîtres du monde, en affichant leur suffisance sur d’autres, mais on avait fini par comprendre que la chose importante n’était pas ce que l’on est mais ce que l’on allait devenir car le temps pouvant à chaque instant tout remettre en question, nous indiquait que c’était notre propre cheminement qui devenait important.

Qui avait crée Alga, quel était l’architecte qui avait posé la première pierre ?

« Ex nihilo nihil » comme il était écrit dans l’un de ces vieux livres, paroles d’un sage du passé vérifiées par les temps présents…..de rien, rien ne peut naître….. Il y avait autant d’arguments en faveur que contre l’existence de la possibilité d’un dieu, et les hommes avaient adoptés une position de liberté totale puisque les conceptions métaphysiques étant du domaine exclusif de l’appréciation individuelle des citoyens, et ils se refusaient donc à toutes affirmation dogmatique. Le développement des sciences avait fait reculer les maladies, et les humains pouvaient vivre très longtemps sans que les signes de vieillesse ne viennent dénaturer leur physique ni atteindre leur mental. Le travail pénible avait disparu car des machines perfectionnées apportaient le confort et le bien-être à chaque humain qui pouvait, enfin libéré des contraintes matérielles, s’adonner aux plaisirs du travail intellectuel, et, soulagé des corvées domestiques pénalisantes, il était devenu plus savant et plus réfléchi. Maintenant, on ne travaillait plus que pour le plaisir, pour une satisfaction propre à chacun, puisque la société lui assurait tout ce dont on avait besoin en nourriture et logement.

Grâce à la transmission de pensée tous les humains communiquaient entre eux en utilisant un ‘langage’ fait de symboles et d’idées, car on s’était rapidement aperçu que pour parler et enseigner il fallait d’abord écouter, puis ensuite emprunter le langage de l’autre en s’oubliant soi-même et que la partie la plus difficile était de traduire sa pensée au moyen de symboles et de paraboles plus facilement assimilables, ce qui favorisait le cheminement et la diffusion des idées.

L’esprit avait pris le dessus sur le matériel en transformant la vie quotidienne, les moyens de locomotion devenus obsolètes, avaient disparu puisqu’on pouvait se déplacer sur de courtes distances uniquement par la pensée, et de ce fait les villes et les paysages, débarrassés des pieuvres polluantes qu’étaient autrefois les routes et les autoroutes, ressemblaient à des havres de verdure. La médecine avait progressé sur des sentiers restés longtemps inexplorés et beaucoup de maladies et d’infirmités pouvaient être guéries par de simples mots.

La grande avancée avait été de considérer les animaux comme des êtres humains et donc intouchables, et toute l’humanité était devenu végétarienne en refusant d’utiliser leur chair à quelque fin que ce soit. La SPA avait disparu, en même temps que les dernières courses de chevaux et les dernières corridas.

Des usines cultivaient des légumes géants à croissance rapide, aux propriétés nutritives étonnantes car chacun pouvait y retrouver, en fonction de leur particularité, la texture et la saveur d’autres aliments qui ne s’utilisaient plus, ou avaient disparu.

 « Vous serez donc notre ambassadrice pour aller observer Quatra, la dernière planète de la galaxie verte. Vous avez été choisie et reconnue par nous comme une des nôtres, votre mission, si vous l’acceptez,sera d’apporter la vérité, la connaissance et la sagesse, grâce à votre science et votre humanisme, à cette planète, pour la faire évoluer plus facilement en vue de venir intégrer notre communauté dans les meilleurs conditions. Cette planète n’a pas été choisie au hasard, elle est en effet la dernière de l’ellipse ouest, dont nous ignorons encore tout, ou presque, nous savons qu’il y a de la vie à l’écoute des systèmes électro-thermo-sensitifs et que des formes d’intelligence se sont développées pour pouvoir créer un embryon d’évolution qui pourrait, nous le pensons, être assez avancé pour accepter un contact avec nous. 

Une expérience analogue avait déjà été tentée, il y a quelques siècles, sur votre planète d’origine pour en favoriser l’évolution philosophique en vue d ‘un contact ultérieur, mais nous avions été obligé d’y abandonner un de nos plus illustres explorateurs, un certain Rhésus, dont vous avez sans doute entendu parler, ou lu une biographie, certes un peu imagée, j’en conviens, par des témoins de cette époque qui en avaient même fait une sorte de légende, devenu pourtant historique pour certains illuminés plus portés sur la fiction que sur la réalité. Nous avions commis l’erreur de le faire ‘naître’ sur ce monde, mais pour effectuer son transfert retour nous avions eu besoin de plus de jours et son corps se volatilisa lors d’un incident assez fâcheux puisque le local qui devait servir à la téléportation, une grotte, choisie malheureusement à la hâte, n’était pas totalement hermétique, et donc, pour ne pas réitérer ce genre de manipulation, nous avons décidé d’envoyer un explorateur venu de l’extérieur.

Vous allez être envoyée près de la mer Dimerquatrane, sur le mont Janus, vous pourrez correspondre avec nous mentalement et vous pourrez utiliser toutes les facultés extrasensorielles mises à votre disposition…nos esprits vous accompagnent. »

Elle ferma les yeux pour se remémorer quelques principes du groupe d’explorateurs dont elle appartenait maintenant et qui constituait sa conduite et même sa philosophie :

«  Si tu cherches, sache que la perfection ici n’existe pas, il n’y a que la recherche de l’amélioration, beaucoup cherchent, sois la bienvenue, mais attend toi à souffrir car notre ennemi est puissant, il s’appelle le doute, et tel un serpent il n’attaque que celui qui le dérange, si tu passes outre, si ta lumière ne le gêne pas, cet adversaire tapis dans l’ombre, ne t’importunera pas, mais si tu t’approches de sa frontière,si ta clarté veut pénétrer les zones obscures de son domaine, alors il deviendra ton opposé et tentera de te mordre. Si tu penses que chercher est inutile, alors fais ce que tu veux puisqu’il n’y a pas de porte au bout de cet inconnu, puisqu’il n’y a pas d’espoir pour que germe la graine que tu as semée dans le ciment et que tu as construit ta vie avec le papier qui va te servir à brûler la trace de tes souvenirs, mais si tu espères autrement, alors continue de chercher, ne t’encombre pas des certitudes qui ne sont que des miroirs placés sur ta route pour te faire croire que tu es déjà un dieu en te renvoyant ta propre image satisfaite, sois toujours marquée de tes faiblesse car elles demeurent le réservoir des forces qui te poussent à avancer. »

Le bruit de plusieurs coups répétés la firent sortir de cette sorte de sommeil en résonnant dans sa tête et en lui indiquant que son travail d’exploration allait commencer. Elle émergea doucement de cette sorte de pénombre physique semblable à celle d’un retours d’évanouissement, comme lorsque le conscience revient, comme lorsqu’on revient à la vie, un peu comme si on venait d’enlever un bandeau qui masquait la vue. D’abord les yeux grands ouverts ne percent pas la pénombre, on regarde sans voir, on entend sans vraiment comprendre, il faut un moment pour tout coordonner car l’esprit n’est pas totalement en fonction, et une période d’adaptation est nécessaire.

Un point lumineux qui lui semblait loin, se mit à grandir jusqu’à l’éblouir, le premier souffle d’air lui brûla les poumons, ce qui eut pour effet de la ralentir avant de se lever et de partir, retenue par ce cocon protecteur, par cette sécurité relative, par cette chaleur bienfaitrice, mais elle savait qu’elle ne pouvait plus reculer, la distance d’abord, et ensuite, cette mission, pour laquelle elle avait été choisie, devait être accomplie puisqu’elle l’avait acceptée, et alors, machinalement, elle se murmurait comme un mantra les écrits de Y.Goringhel : « Vis ta vie comme tu l’entends, fais ce que tu crois en étant toujours en accord avec ta conscience sans tenir compte des dogmes d’une hypothétique religion. »

Le soleil était presque au zénith de cette nouvelle terre, un arc en ciel s’étirait sur l’horizon, Lucie, ses sens en éveil, écarquillait maintenant ses yeux pour profiter du spectacle. Cette planète verte semblait très belle, tout était calme, elle avança doucement pour se géolocaliser et pour sentir la matière sous ses pieds dont les capteurs lui fournissaient les nouvelles informations, mais ce qui semblait être un cri la fit se retourner, elle venait de marcher sur quelque chose qui semblait vivant…..

Une sorte de plainte s’échappa alors de sa bouche car son esprit venait de comprendre toutes les conséquences de cette situation grâce aux analyses de ses puissants capteurs…..

Levant alors ses yeux vers ce ciel imaginaire, unique témoin visuel de sa situation, comme pour implorer une aide lointaine venue d’en haut, et pour également communiquer mentalement avec l’esprit de ceux qui l’avaient envoyé….

Ce sont des légumes, les habitants, enfin, les humains de Quatra sont des légumes……

 

Une réflexion au sujet de « LE BIEN ET LE MAL, LE MIEUX ET LE PIRE ! »

  1. Chapeau, c’est éblouissant. Une science-fiction comme je l’aime. Surprenante, sachant tenir en haleine jusqu’à la chute. Rien ne laisse présumer qu’il s’agit de légumes. Une autre conception par rapport à tout ce qui s’écrit en matière de science-fiction. Merci pour cette lecture passionnante.

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